38 Dans son enseignement, il disait : « Méfiez-vous des scribes, qui tiennent à se promener en vêtements d’apparat et qui aiment les salutations sur les places publiques,
39 les sièges d’honneur dans les synagogues, et les places d’honneur dans les dîners.
40 Ils dévorent les biens des veuves et, pour l’apparence, ils font de longues prières : ils seront d’autant plus sévèrement jugés. »
41 Jésus s’était assis dans le Temple en face de la salle du trésor, et regardait comment la foule y mettait de l’argent. Beaucoup de riches y mettaient de grosses sommes.
42 UNE pauvre veuve s’avança et mit deux petites pièces de monnaie.
43 Jésus appela ses disciples et leur déclara : « Amen, je vous le dis : cette pauvre veuve a mis dans le Trésor plus que tous les autres.
44 Car tous, ils ont pris sur leur superflu, mais elle, elle a pris sur son indigence : elle a mis tout ce qu’elle possédait, tout ce qu’elle avait pour vivre. »
38 Et dans son enseignement il disait : « Regardez à distance les scribes qui veulent en robes marcher, et des salutations sur les places,
39 et des premiers-sièges dans les synagogues, et des premiers-sièges-inclinés dans les dîners,
40 eux qui dévorent les maisonnées des veuves et qui en prétexte longuement prient. Ceux-là se prendront/recevront une plus excédante condamnation. »
41 Et s’étant assis en-face-de la Garde-du-Trésor, il considérait comment la foule jette de la monnaie dans la Garde-du-trésor. Et beaucoup de riches jetaient beaucoup ;
42 Et étant venue, UNE veuve pauvre jeta deux sous, c’est-à-dire un quadrans.
43 Et ayant appelé-auprès ses disciples il leur dit : « Amen je vous dis : la veuve-là, la pauvre, plus que tous les jeteurs elle a jeté dans la Garde-du-trésor ;
44 en effet, tous ont jeté de leur excédent, elle, de son manque, tout autant qu’elle avait, elle a jeté la totalité de ses moyens-d’existence. »
Après une première lecture, la pauvre veuve semble être présentée par Jésus comme un exemple à imiter. Elle manque de tout, et donne le peu qui lui reste. C’est héroïque, mais en même temps déraisonnable : le trésor du Temple n’a pas besoin de ses deux piécettes. Au plan humain, c’est impossible, comme Jésus lui-même l’a reconnu après le départ tout triste de l’homme riche auquel il a suggéré de tout donner pour obtenir la vie éternelle [Mc 10,27].
On se demande aussi quel est le rapport entre cette veuve et la critique des scribes qui précède.
Une seconde lecture, loin d’éclairer, fait apparaître d’autres difficultés.
- Pourquoi Jésus critique-t-il les scribes, et non pas les pharisiens ou les grands prêtres ?
- Que veut dire « dévorer les maisonnées des veuves » ?
- Pourquoi la foule jette-t-elle des sous / χαλκός (monnaie de bronze) dans le trésor, et la veuve jette-t-elle deux fines / λεπτός (pièces) ? Pourquoi deux mots différents ?
- Pourquoi UNE (adjectif cardinal et non pas article indéfini) pauvre veuve ?
- Pourquoi deux piécettes ?
- En quoi la caractéristique « veuve », en sus de la pauvreté, est-elle importante ?
- En quoi ce texte nous prépare-t-il au récit de la Passion, qui commence au chapitre 14 ?
Les scribes sont les spécialistes des Écritures. On peut penser aux exégètes d’aujourd’hui, aux auteurs de catéchismes, à tous ceux qui interprètent la Parole. Jésus ne critique pas leur âpreté au gain, mais met en garde sur la manière dont ils assument leur tâche. Traduire le mot οἰκίας / maisonnées par biens est une interprétation qui oriente le lecteur dans une mauvaise direction.
La question « pourquoi les scribes ? » devient alors « que leur reproche Jésus ? ».
Ces deux nombres sont de manifestes intrus dans le verset 42. Ils méritent toute notre attention.
Marc utilise deux fois le nombre UN juste avant, aux versets 29 et 32, pour parler du Dieu UNique. Quelle est donc cette pauvre veuve, qualifiée d’UNique, et dont le comportement (tout donner) est impossible humainement ? Cette veuve, selon le verset 43, n’a été vue que par Jésus, et non pas par les disciples.
Le chapitre 12 commence par une parabole. Un homme plante une vigne et la confie à des agriculteurs. Il envoie des serviteurs pour recevoir les fruits du vignoble. Mais les agriculteurs maltraitent le premier, tuent le second. Alors, il risque tout et envoie son fils... qui se fait aussi tuer.
Comme la pauvre veuve, Dieu nous donne tout, et pour finir, la totalité de ses moyens d’existence : deux sous.
Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre, il créa le deux, déjà présent dans le Beth, la première lettre de la Bible (Bereshit), la seconde de l'alphabet hébreu. Il a voulu l’Alliance entre le ciel et la terre. Mais l’humanité se perd, il se retrouve délaissé comme une veuve. Ayant tout donné, il n’a plus que deux piécettes, symboles de son immense désir d’Alliance.
Nous sommes l’épouse infidèle qu’il appelle, encore et toujours. Il ne nous demande rien, si ce n’est de répondre à son amour. Allons-nous nous tourner vers cette pauvre veuve et son immense désir ? Oserons-nous transformer l’image que nous avons d’un Dieu tout-puissant, qui exigerait de nous une générosité héroïque, en celle d’une pauvre veuve ?
L’image des cinq pains de la "multiplication des pains" est facile à décoder. La référence au Pentateuque, et donc à la Torah, à l’Écriture, est assez claire. Le Logos se donne comme nourriture. Mais qu’en est-il des deux poissons ?
Ne feraient-ils pas référence à l’Alliance ?
Les scribes visés par Jésus s’empareraient des cinq pains et laisseraient tomber les deux poissons ?
La Bible devient pour eux un livre de sagesse coupé de Dieu. La morale prend la place de l’Alliance. Les spécialistes imposent leurs interprétations au lieu de s’effacer devant le mystère de la relation de chacun au divin. L’église institutionnelle promet le ciel à ceux qui lui obéissent et menace les autres de l’enfer...
Jésus conseille non pas de fuir les spécialistes, mais de les « regarder à distance ». Ce qui importe, c’est la relation qui se construit dans la maisonnée des veuves en attente d’Alliance, Dieu en moi et moi en Lui.
Le mot veuve / χήρα est formé avec les consonnes chi et rho, initiales du mot Christ / χριστός.
Le mot indigence / ὑστέρησις est formé avec les trois mêmes consonnes que le mot croix / σταυρός.