Les complémentaires santé sont chères. Leur intérêt douteux.
Leur opacité totale.
La sécurité sociale malade
Créée au lendemain de la guerre dans un contexte de plein emploi (il fallait reconstruire), elle a apporté d'immenses progrès : la moitié des français n'avaient aucune sécurité en cas de coup dur, et pas de retraite. Elle a aussi rencontré des difficultés :
Certains ont refusé de s'intégrer au régime général (monde agricole, indépendants, particularités en Alsace-Moselle...)
La moitié des médecins sont restés libéraux. En obtenant de pouvoir appliquer des dépassements d'honoraires, ils ont eu le beurre et l'argent du beurre.
Les partenaires sociaux n'ont pas assumé leur responsabilité d'arbitrer pour maintenir l'équilibre financier. L'endettement actuel fait que "la sociale" est la proie des créanciers, du monde de la finance.
Le citoyen perçoit les remboursements comme un dû, et non pas comme le fruit d'un mécanisme solidaire qu'il importe de défendre. Non syndiqué, il n'a pas confiance dans les instances représentatives.
Une gestion par des instances professionnelles et un financement basé sur les revenus du travail correspondait à une société de plein emploi qui n'est plus. De nouvelles formes de travail apparaissent.
L'existence d'un "plafond de la sécurité sociale" à partir duquel les cotisations sont réduites est une entorse au principe de solidarité.
Des laboratoires pharmaceutiques en situation de monopole imposent des prix pharaoniques. Le Sovaldi, traitement de l'hépatite C, commercialisé par la labo américain Gilead, est passé en France de 57000 € à 41000 €, alors que hors coup en bourse (rachat de la start-up qui l'a mis au point pour 9,7 milliards), son coût de fabrication est de 100 €.
Au lieu de corriger ces défauts, on va vers un système social à but lucratif. Le monde est fou.
Martin Hirsch, dans une tribune du Monde, proposait en 2017 l'évidence : supprimer les complémentaires santé obligatoires et économiser ainsi 6 milliards de frais de gestion en double, de démarchages commerciaux et de bénéfices. Les intérêts qui sont derrière sont conséquents, et les complémentaires santé font du lobbying.
Exemple : l'étude de l'institut Sapiens du 14/9/2020. Sous une belle apparence, elle se contente de rassembler des comparaisons internationales peu significatives, sauf pour dire que les français consomment trop de tabac et d'alcool. Elle ne cache pas que le secteur privé a financé 18,6 % des dépenses courantes de santé en 2018 et représente près de la moitié des coûts de gestion totaux du système de soins (p57, p65), mais défend cette situation "pour que le reste à charge des patients reste faible". Les arguments en faveur des complémentaires santé sont partiaux et de mauvaise foi (p81 à p86).
Communication du taux de redistribution Depuis le 1/9/2020, il est obligatoire quand un devis est demandé.
Il varie de 70% à 90% selon Que Choisir.
Une obligation insuffisante et mal respectée.
Solidarité ?
Au début de ma carrière professionnelle, les syndicats m'ont présenté l'adhésion à la mutuelle des PTT (devenue aujourd'hui mutuelle générale) comme allant de soi. Certes, quand on est jeune et en bonne santé, les cotisations sont plus élevées que les remboursements, mais un accident est toujours possible. Et il y va de la solidarité avec les plus faibles.
Gaspillage d'énergie pour gérer les centimes
Depuis 40 ans, je paye quelques dizaines d'euros par mois, et l'on me rembourse quelques euros par mois. Voir un exemple de relevé. Quel est le sens de cette activité ? Je n'en vois pas d'autre que de maintenir l'emploi à la sécurité sociale et dans les complémentaires santé.
Le 16 juin 2015, je reçois un courrier m'avisant d'un changement. Dorénavant, mes relevés sont plus détaillés ! Ils précisent la part d'honoraires de dispensation du pharmacien. Voir un exemple. Noyé dans les détails, je ne pouvais déjà rien y comprendre, l'enfumage n'était-il pas suffisant ?
Quand le système de santé rembourse moins, il paraît, selon les médias, que les assurés sociaux se plaignent. La publicité les aurait-elle lobotomisés au point qu'ils ne voient plus la réalité ?
Fin 2019, un nouveau service internet liste les remboursements depuis un an (sans faire de totaux). J'ai eu 40 remboursements pour un total de 422,80 €, dont 200 € de lunettes. Le remboursement moyen est donc, hors lunettes, de 5,86 €. On imagine la part de frais de gestion !
J'aimerais une mutuelle se limitant à rembourser les vrais coups durs : hospitalisations, traitements dont le prix dépasse l'équivalent de 5 années de cotisation. Et si la sécurité sociale faisait de même, que d'économies ! On ne soupçonnerait plus les patients d'abuser d'un service "gratuit". Serait-ce trop difficile à mettre au point ?
Prétextes bureaucratiques pour ne pas rembourser
J'ai payé 600 € de chirurgie (cataracte en mars 2022). La SS m'a remboursé sa part (272 €) automatiquement et rapidement. Il m'a fallu transmettre à la mutuelle générale (ex mutuelle des PTT) la facture acquittée du chirurgien pour le reste. La mutuelle m'a réclamé un bordereau de facturation de l'hôpital, puis l'a trouvé insuffisant car il ne mentionne que la part SS.
L'hôpital m'a confirmé qu'il ne pouvait évidemment pas satisfaire les demandes particulières de centaines de complémentaires santé. Il n'a qu'une procédure. Il constate que les pinaillages bureaucratiques augmentent, sans doute pour éviter de rembourser ce qui est dû.
Les manoeuvres dilatoires sont d'autant plus efficaces qu'un patient n'est pas toujours en état de comprendre et d'insister.
La solidarité les yeux fermés
Je paye 1200 € par an de cotisation à la mutuelle générale (2 personnes, 2022). J'ai choisi l'option la moins chère, parmi trois.
J'ai demandé à ma mutuelle une synthèse annuelle :
Total de mes dépenses de santé,
dont pris en charge ou remboursé par la sécurité sociale,
dont pris en charge ou remboursé par la mutuelle,
dont resté à ma charge.
On m'a gentilment rappelé pour me dire que je pouvais faire un suivi moi-même !
"Remboursement à 100%",
Soit une consultation de 50 € (secteur à honoraires libres). La SS remboursera 70% du TC (Tarif de Convention) qui est de 23 €, soit 16,10 €
La mutuelle complètera pour arriver à 100%... du TC !
27 € (+ 1 €) resteront donc à votre charge.
Quand il s'agit d'une couronne à 3000 € et que la SS rembourse quelques dizaines d'euros, un remboursement à 100% veut dire que 99% des frais resteront à votre charge !!!
Les mutuelles vous diront que tout le monde comprend. Mais alors, pourquoi présenter les choses ainsi ?
Voici un extrait du compte-rendu de l'AG de la mutuelle générale :
En 2010, La Mutuelle Générale a commencé à engranger les résultats de sa croissance sur le marché des particuliers et conforte sa position sur le marché des contrats collectifs... Patrick S. a salué de bons résultats en matière de développement... La Mutuelle Générale a conforté sa solidité financière. Le niveau de ses fonds propres s’élève à 576 millions d’euros... Avec des provisions qui atteignent 1 milliard 350 millions d’euros... Vous avez dit solidarité ? Si les bénéfices sont élevés, c'est que le taux de redistribution est faible : 75,9% selon Que Choisir (moins en comptant les taxes payées par les assurés).
Selon un rapport de la Cour des comptes cité par "Que choisir" (N°518 d'octobre 2013), les frais de gestion de la CNAM sont de 5,4% des dépenses de l'assurance maladie, alors qu'elles sont de 25,4% pour les organismes complémentaires. Transférer vers les complémentaires santé des prises en charge essentielles ou obligatoires veut dire faire payer davantage de frais généraux et de publicité aux usagers.
Vers moins d'équité
Le discours anti-impôts oublie de parler des cotisations obligatoires aux complémentaires santé. Il porte ses fruits vénéneux : la sécurité sociale se désengage au profit de solutions plus onéreuses. Mais il y a pire.
Dans un champ de bataille opaque (qui est capable de comparer les tarifs des offres concurrentes ?), on se bat par tous les moyens (marketing téléphonique ciblé...). Les manoeuvres consistent à séduire les clients jeunes et en bonne santé avec des tarifs attractifs sur des prestations non vitales (lunettes...). Les cotisations, non seulement ne sont plus un pourcentage des revenus (mécanisme solidaire), mais sont plus élevées pour les personnes à risque, les vieux...
Comment les mutuelles soucieuses d'équité et qui font le même tarif pour tous pourront-elles résister ?
Les laboratoires font la promotion de leurs médicaments, les nouveaux, bien sûr, sous brevets.
La sécurité sociale tente de limiter la consommation et de promouvoir les génériques.
Qui paye cette double publicité ?
Un phénomène semblable touche les hôpitaux publics. Les cliniques privées raflent les soins les mieux payés, et leur laissent les maladies chroniques peu rentables. Quand il faut en plus payer un loyer pour des bâtiments financés dans le cadre d'un Partenariat Public Privé qui laisse la porte ouverte à une facturation exhorbitante de frais annexes, l'hôpital est obligé de recourir à des expédients regrettables : surfacturation des chambres individuelles, accueil de riches étrangers, recours à du personnel étranger sous-payé...