Ce faire-part de décès date de 2011. Je ne me doutais pas que nous étions loin d'avoir touché le fond.
Quand le mur de Berlin est tombé, le modèle capitaliste occidental a remplacé le communisme.
Nouveau séisme, nous vivons ce que certains nomment une crise systémique, la fin de la société de consommation. Mais cette fois-ci, nous ne savons pas ce qui la remplacera.
L'argent nous rend malades.
La spéculation boursière est le symptôme des uns. D'autres jouent au loto, au poker ou au tiercé. A chacun son addiction.
Les politiques se disent médecins. Ils sont porteurs du virus et très contagieux. Ils soignent les alcooliques que nous sommes avec... du vin. En cas de suffocation, ils passent au cognac, pour retarder la mise en bière.
Depuis qu'on s'en inquiète, jamais le niveau de la dette n'a augmenté aussi vite.
L'écart entre riches et pauvres ne fait qu'augmenter.
Les vraies questions écologiques sont étouffées pour ne pas remettre en cause la croissance (voir l'exemple de l'industrie automobile). La décroissance, inéluctable, est encore niée ou noyée dans des discours contradictoires. Même les "verts", en parlant de "croissance autre", entretiennent l'ambiguïté.
Regarder la réalité en face (écouter un interview de 50' de Yves Cochet de 2013) serait un préalable à toute action constructive.
La réalité, c'est le travail de deuil que chacun doit faire, le deuil de l'argent.
Arrêter de chercher fébrilement où cacher mon argent (ou comment en avoir, si je n'en ai pas), mais accepter que ce fantôme n'existe plus. Et le vivre comme une libération.
Il est rude d'ouvrir les yeux. L'abîme donne le vertige. On préfère se tourner vers le ciel.
Mais le ciel n'est pas dans les nuages. Il est au fond. Au fond de nous-mêmes.
Plonger est le seul chemin. Ceux qui l'ont vécu intérieurement peuvent l'affirmer : La vérité nous rendra libres.
Un témoignage parmi bien d'autres : celui du chirurgien orthopédiste Vincent Pointillart. Constatant les limites de sa science, il se met en route (voir une vidéo de 45').
Et si l'homme n'était pas qu'un animal intelligent ? Si sa vocation était plus grande que de consommer ?
Faut-il se tourner vers le ciel ? Nos satellites n'ont rien trouvé, Dieu s'il existe est loin et muet.
Et si le "ciel" était au-dedans de nous ? Tout proche...
Impossible à prouver, c'est une expérience. Tout à coup, plus d'angoisse. Une paix, une lumière qui ne vient pas d'ailleurs mais qui est à l'intérieur. Peut-être une expérience unique dans ma vie, mais depuis, je "sais", d'une certitude absolue... sans pouvoir nommer ce que je "sais".
Je cherche alors à retrouver le chemin du ciel entrevu.
Si je rentre en moi-même, c'est plutôt l'enfer que je découvre. Des peurs, des colères, des tristesses, une affectivité blessée. Des passions. Une sarabande d'idées qui tournent dans ma tête comme des animaux sauvages. Une respiration oppressée, un corps crispé. Je suis le jouet de fantasmes, de fantômes.
Reculer ou plonger, pas d'autre alternative.
Non pas contourner, mais plonger là où l'angoisse est la plus forte. L'éclairer. Entrer dans les parties de mon corps qu'elle oppresse. Expirer, lâcher.
Regarder avec tendresse mes animaux sauvages, pardonner leurs bêtises, les apprivoiser.
Notation annuelle. Cette nouvelle manière de manager fait des vagues.
J'explique que c'est la contribution aux objectifs de l'entreprise qui est évaluée, et non pas les personnes. On est dans une relation marchande, donnant-donnant.
Une relation schizophrène, où je ne m'intéresse qu'à une partie de l'autre ?
Mais si le chef devenait un gourou, ce serait pire. Se limiter à ce qui concerne l'entreprise, c'est respecter l'autre, lui laisser la responsabilité de sa vie.
Alors, que restera-t-il ? Qui suis-je ?
Le Christ n'est que accueil (il reçoit tout du Père) et don (il ne garde rien pour lui). Seul, il n'existe pas.
"Je suis" n'existe pas sans l'Autre et sans les autres.
Comment cette libération - personnelle, ou vécue dans un petit groupe - de l'addiction à l'argent va-t-elle influencer ma manière d'être dans le monde économique ? Est-elle susceptible, et comment, de "changer le monde" ?
Le premier rayonnait la paix, la joie.
Quel est son secret ?
Le mal sous toutes ses formes devient ce qui va nous mettre en mouvement. Il va nous mobiliser ensemble, et donc nous ouvrir à l'altérité. De la "mort" émerge l'espoir partagé d'une vie nouvelle. Nous ne sommes pas seuls.
Au lieu d'être consommateurs, nous devenons des co-créateurs exerçant notre liberté. La surprise, l'émerveillement devant l'inattendu remplacent la sécurité du connu. Notre vie prend du sens.
La faiblesse, le manque, l'erreur deviennent l'occasion de dire : j'ai besoin de toi, de ton pardon. La vie n'est pas capitalisée, elle circule dans le "recevoir" et le "donner". Elle grandit dans la reconnaissance de nos différences (riches / pauvres...), pierres d'achoppement qui deviennent pierres fondatrices.
La démarche d'intériorité donne cette expérience que c'est en perdant tout que je reçois tout.
Quand une faille apparaît dans les belles idées que j'exprime pour un monde économique meilleur, elle est cette ouverture qui permet à l'autre d'entrer chez moi, ce vide qui lui donne de la place.
Cette dernière partie est le fruit de la lecture du livre de Elena Lasida "Le goût de l'autre"