Néanmoins, j’en sors avec une impression de malaise : je n’ai pas la foi de Joni. Il m’est arrivé de participer à des rencontres charismatiques, et je me sentais acculé : ou bien exprimer une joie que je ne ressentais pas, chantant et levant les bras avec tous ces « dévisseurs d’ampoules » qui semblaient magiquement transformés par un « baptême de l’Esprit », et c’était mentir ; ou bien sortir… peut-être refusant la conversion, enfermé dans mon orgueil ?
L’unanimité de la foule qui applaudit le témoignage de Joni ou des internautes qui commentent le film accentue ma gêne : si je suis seul contre tous, ne serait-ce pas que j’ai tort ?
Pour y voir plus clair, il me faut prendre du recul : le film, témoignage émouvant, s’adresse à mon affectivité, mais j’ai aussi une capacité de réflexion. Dieu me veut libre et responsable, à son image, et non pas mouton bêlant comme le troupeau. Je désire profondément la communion et non pas l’uniformité.
Le film peut donner l’impression que la vraie foi donne la joie. La tristesse, la colère, la peur seraient des signes que je suis dans l’erreur. Il y aurait le « jour » qui serait le bien, et la « nuit » qui serait le mal. Le dualisme menace…
C’est vrai, j’aspire à une vie heureuse, sans souffrance. Mais j’aspire surtout à une vie qui ait du sens. Et si le sens ultime, en suivant le Christ, est d’aimer au point de donner ma vie, les épreuves ne sont-elles pas nécessaires ? La « joie parfaite » qui nous est promise n’est pas terrestre, elle peut coexister avec une grande détresse, y compris psychologique.
Les personnages mis en scène citent souvent l’évangile. Ils prennent une décision courageuse ou généreuse en fonction d’un verset auquel ils font confiance. C’est à la fois beau et terrifiant. La croyance dans le sens littéral et moral d’un verset de la Bible, qui dicterait notre conduite, mène à l’intégrisme : j’ai raison contre ceux qui pensent ou agissent autrement, puisqu’une parole venant du ciel (de la Bible, du Coran…) l’affirme.
Les dégâts sont immenses (guerres...). On comprend ceux qui font le choix de l’athéisme.
John Shelby Spong (né en 1931) a souffert d’une éducation qui lui imposait de croire aux invraisemblances littérales de la Bible. Il n’a pas quitté le navire, il a été évêque anglican du diocèse du New Jersey, de l'Église épiscopalienne des États-Unis. Mais il a publié plusieurs livres relevant ces incohérences. Alors que bien d’autres cherchent à recoller les morceaux, il remet en cause la vérité historique de nombreux récits et personnages. Comme il reconstruit peu au niveau symbolique, le résultat est ravageur, déstabilisateur de toute foi immature.
La voie est de passer de la croyance en un message et une sagesse, à la confiance en une personne présente à mes côtés. Lire, manger, mastiquer la Bible – toute la Bible – pour accueillir le Christ en moi. Et c’est Lui, au-delà de tout « commandement », qui m’inspirera des comportements non pas parfaits, mais « justes ». Les tâtonnements, les erreurs, les pardons font partie du chemin, et le Christ est le chemin.
Que penser des charismatiques ? Chercher la meilleure église, celle qui posséderait la vérité ou serait sans péché, c’est à coup sûr tomber dans une secte. Derrière une trop belle façade, on trouvera abus de pouvoir, abus financier, abus sexuels. Ce commentaire n’est pas une critique de telle personne ou de telle communauté. Il est juste une invitation à la vigilance sur des dérives qui menacent toutes les organisations humaines. L’Église est fondée sur Pierre, son reniement, ses pleurs et son pardon.
Ce que je comprends maintenant de Joni, c’est qu’il lui a fallu du temps pour passer de l’espoir d’une guérison physique, à l’écoute d’un « lève-toi et marche » à un autre niveau. Tout comme il me faut du temps pour passer du désir d’une vie terrestre plus facile, à l’acceptation de ma situation comme lieu de la « divinisation » promise à tout être humain. Il me faut du temps pour passer du sens littéral de l’Écriture, à des sens symboliques et à la prière de louange.
Vérité historique ou symbolique des évangiles ? Jean-Pierre Bagot, traducteur d'Eugen Drewermann, décédé en avril 2023, a écrit un beau livre qui traite de cette question : "La quête de sens, coeur de la rencontre. Pourquoi je danse avec Derwermann" (pdf téléchargeable, non publié).