Bible / Autres Matthieu / Parabole des talents (Mt 25,14-30)
7 novembre 2017

Parabole des talents

14 C'est comme un homme qui partait en voyage : il appela ses serviteurs et leur confia ses biens.
15 A l'un il donna une somme de cinq talents, à un autre deux talents, au troisième un seul, à chacun selon ses capacités. Puis il partit.
16 Aussitôt, celui qui avait reçu cinq talents s'occupa de les faire valoir et en gagna cinq autres.
Version pdf imprimable
17 De même, celui qui avait reçu deux talents en gagna deux autres.
18 Mais celui qui n'en avait reçu qu'un creusa la terre et enfouit l'argent de son maître.

19 Longtemps après, leur maître revient et il leur demande des comptes.
20 Celui qui avait reçu les cinq talents s'avança en apportant cinq autres talents et dit : 'Seigneur, tu m'as confié cinq talents ; voilà, j'en ai gagné cinq autres. —
21 Très bien, serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle pour peu de choses, je t'en confierai beaucoup ; entre dans la joie de ton maître.'
22 Celui qui avait reçu deux talents s'avança ensuite et dit : 'Seigneur, tu m'as confié deux talents ; voilà, j'en ai gagné deux autres. —
23 Très bien, serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle pour peu de choses, je t'en confierai beaucoup ; entre dans la joie de ton maître.'

24 Celui qui avait reçu un seul talent s'avança ensuite et dit : 'Seigneur, je savais que tu es un homme dur : tu moissonnes là où tu n'as pas semé, tu ramasses là où tu n'as pas répandu le grain.
25 J'ai eu peur, et je suis allé enfouir ton talent dans la terre. Le voici. Tu as ce qui t'appartient.'
26 Son maître lui répliqua : 'Serviteur mauvais et paresseux, tu savais que je moissonne là où je n'ai pas semé, que je ramasse le grain là où je ne l'ai pas répandu.
27 Alors, il fallait placer mon argent à la banque ; et, à mon retour, je l'aurais retrouvé avec les intérêts.
28 Enlevez-lui donc son talent et donnez-le à celui qui en a dix.
29 Car celui qui a recevra encore, et il sera dans l'abondance. Mais celui qui n'a rien se fera enlever même ce qu'il a.
30 Quant à ce serviteur bon à rien, jetez-le dehors dans les ténèbres ; là il y aura des pleurs et des grincements de dents !'

31 Quand le Fils de l'homme viendra dans sa gloire, et tous les anges avec lui, alors il siégera sur son trône de gloire... (parabole dite du jugement dernier)

(traduction liturgique)

Ce texte m'habite depuis des années, je n'en finis pas de m'étonner, de chercher, de découvrir des lumières partielles. C'est dire le caractère provisoire et subjectif des commentaires qui suivent ! Ils ne sont pas "la" vérité, mais un bout de chemin...

C'est dire aussi que cette parabole invite à une conversion difficile, longue. Ce n'est pas un hasard si elle fait partie du chapitre 25 de l'évangile de Matthieu, qui précède la passion.

Pour en tirer profit, commencez pas apprendre le texte, étonnez-vous, cherchez vous-même. Un document éclairant la traduction pourra vous aider. Ce que vous lirez ensuite répondra à une attente, ou fera écho à votre propre questionnement.

Premiers étonnements

En première lecture, ce qui concerne les deux premiers serviteurs me parait sans problème. Mettre en œuvre mes talents, mes qualités et capacités, va bien dans le sens d'un épanouissement de toute ma personne et du service des autres.

Mais la dureté du maître vis à vis du troisième serviteur me heurte. J'aurais espéré compassion et pardon vis à vis d'un homme en situation d'échec. Ceci dit, ils sont nombreux, les passages de la Bible montrant un Dieu rude.

Je ne comprend pas le verset 29 : le riche recevra davantage, le pauvre sera dépouillé ?

C'est le verset 27 qui m'étonne le plus. Voilà le maître qui s'intéresse à l'argent, aux banques, aux placements avec intérêts que la Bible interdit (Ex 22,25, Lv 25,36-37). Quand j'écoute une homélie sur ce texte, je guette en vain une explication sur ce point. Je ne suis pas le seul à être embarrassé, semble-t-il.

Le comportement du troisième serviteur est également étrange. Pourquoi cacher en terre le talent reçu (v.18) ? Le maître confie à chacun selon ses capacités dit le texte (v.15), il a reçu moins que les autres, serait-il un peu demeuré ? Si c'est le cas, le maître devrait l'apprécier tout particulièrement : Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange : ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l'as révélé aux tout-petits (Mt 11,25).

Pour commencer, intéressons-nous de plus près à ce troisième.

Le troisième serviteur

Alors que les deux premiers reçoivent des "talents" et s'occupent aussitôt de les faire valoir, le troisième reçoit un "talent" que le narrateur qualifie aussi "d'argent" (v.18).
Bénéficierait-il ainsi d'une révélation particulière, cachée aux sages et aux savants ? Un talent, si on le prend dans le sens monétaire de l'époque, c'est 20 kilos d'or, l'équivalent du gros lot du loto. Un cadeau suspect qu'il décide de laisser de côté.

L'homme qui part en voyage confie ses "biens" (v.14), un mot grec qui évoque son être même et pas seulement son avoir. Quel serait-il, celui dont les biens se compteraient en dollars ? Le doute sur la nature des talents rejaillit sur leur propriétaire.

Pour justifier sa condamnation, on souligne souvent que le troisième a agi par peur (v.25). Les autres vivent la confiance, la foi.
De quelle peur s'agit-il ? S'il avait eu la trouille de la réaction de son maître, il se serait employé à le servir au mieux, il n'aurait pas provoqué son courroux ! Or, il ose lui tenir tête. C'est lui-même qui dit : "Tu es un homme dur... j'ai eu peur". J'ai eu peur de me commettre avec toi, et de perdre mon âme.

Le troisième serviteur est devant un problème. Il doute du talent reçu, comment mettre en lumière ce qu'il en est réellement ? Comment vérifier si sa méfiance est fondée ?
Il décide de mettre en terre l'argent. Si c'est de la bonne graine, il poussera et donnera cent, ou soixante, ou trente pour un (Mt 13,8). Si non, le comportement de son propriétaire se révèlera être une tentative de moissonner sans avoir semé, de ramasser le grain sans avoir dispersé la bale (v.24 & 26). Bref, une escroquerie.
Ou encore, il accepte le cadeau mais respecte la loi de Dieu qui interdit le prêt à intérêts.
Ou encore, il fait un choix risqué. Mais s'il se trompe, si le talent vient de Dieu, bien sûr il sera pardonné !

La relation entre les protagonistes est une relation de Seigneur / maître (kurios) à serviteur / esclave (doulos). Mais cette relation de dépendance n'est pas originelle. Au début, le texte parle d'un homme, pas d'un maître (v.14). Et quand le narrateur veut désigner les serviteurs, il n'emploie pas ce mot, il dit : "Celui qui avait reçu cinq talents...".
L'homme ne devient "maître" que quand ceux qu'il appelle ses serviteurs se sont mis à œuvrer pour lui. Et ces derniers se laissent faire, ils l'appellent '"Seigneur". Serait-on face à Pharaon qui met les israéliens en esclavage ?
Le troisième, lui, revient à l'appellation "homme dur" (v.24). Il refuse une relation de servitude, quel que soit le prix à payer. Il rend son talent : Le voici. Tu as ce qui t'appartiens (v.25). Il agit comme le recommande Jésus : Rendez donc à César ce qui est à César (Mt 22,21). Car pour lui, c'est devenu clair : celui qui a pris la place du maître est un César, et non pas Dieu.

"Non, les braves gens n'aiment pas que l'on prenne une autre route qu'eux", chante Brassens. Son attitude provoque la colère du maître dont le masque tombe : serviteur mauvais et paresseux... Tu devais toi donc placer mon argent chez les banquiers. Et, venant, moi, j'aurais recouvré ce qui est mien, avec un intérêt (v.27, traduction littérale).
Sur ceux qui habitaient dans le pays de l'ombre et de la mort, une lumière s'est levée (Mt 4,16). La lumière de la vérité a éclairé la vraie nature de l'ego du prince des ténèbres.
Quand des "bons chrétiens" exigent d'eux-mêmes et des autres la multiplication des bonnes actions, ne transforment-ils pas le Royaume de Dieu en bagne ?

Le maître prend le talent du pauvre pour le donner à celui qui en a déjà dix. N'est-ce pas ce que nous constatons quand les riches créanciers exigent des intérêts en plus du remboursement des dettes contractées par les pauvres ?
Mais on peut remarquer qu'une partie de cette phrase est une redite : Les disciples s’approchèrent de Jésus et lui dirent : « Pourquoi leur parles-tu en paraboles ? » Il leur répondit : « À vous il est donné de connaître les mystères du royaume des Cieux, mais ce n’est pas donné à ceux-là. À celui qui a, on donnera, et il sera dans l’abondance ; à celui qui n’a pas, on enlèvera même ce qu’il a... (Mt 13,10-12). Une telle répétition est suffisamment rare pour ne pas être un hasard, mais une invitation à méditer les deux textes ensemble. Quand Jésus dit que beaucoup de comprennent pas, c'est un encouragement à accueillir des significations rarement exprimées. C'est aussi une confirmation que l'écho entre les talents (doublés) et le semeur (son action donne cent, soixante ou trente pour un) est une piste intéressante.

Aucun homme ne peut servir deux maîtres (kurios) : ou bien il détestera l'un et aimera l'autre, ou bien il s'attachera à l'un et méprisera l'autre. Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l'Argent (Mt 6,24).
Satan, caché derrière le mot "kurios" qui désigne souvent le Christ, est démasqué. Pourtant, il a été loin dans son imitation. Il a donné sans condition cinq puis deux talents... l'invitation à les multiplier comme Jésus a multiplié les cinq pains et les deux poissons (Mt 14,17), à se prendre pour Dieu, était discrète ! Il a qualifié les premiers serviteurs de bons et fidèles … alors que Dieu seul est bon (Mt 19,17).
Quel est-il Celui qui a su le confondre ? Serait-ce le serviteur bon à rien, jeté hors de Jérusalem, dans l'obscurité qui se fit sur toute la terre (Mt 27,45) ? Serait-ce Celui qui n'avait pas connu le péché, que Dieu a fait péché pour nous (2 Co 5,21) ? Serait-ce le Fils de l'homme qui vient dans sa gloire (v.31), vainqueur de celui qui grince des dents ?

Les deux premiers serviteurs

Apparemment pas de problème avec eux, ils œuvrent aussitôt avec les talents reçus, et se font féliciter.
Sauf que bien des commentateurs prennent le mot "talent" au sens de qualités et capacités, notamment spirituelles. Or, en grec et dans la Bible, il n'a jamais ce sens : c'est une unité de poids ou une unité monétaire.
Et si le maître est une image de Satan, la joie des serviteurs serait celle d'une prison dorée, et non pas la liberté des enfants de Dieu !

Il me revient la pression sociale et religieuse de mon enfance pour être un bon élève et un bon chrétien. J'ai assez bien réussi dans cette course au meilleur. Je raflais les premiers prix (de maths et de catéchisme !), soulagé d'être irréprochable... mais mal à l'aise en pensant aux autres, ceux qui peinaient.
Plus difficile que la mauvaise conscience, le prix que j'ai payé, c'est un horizon limité à la recherche d'être conforme à ce que l'on attendait de moi. Être bien vu et non pas être moi-même, voilà l'impasse, l'esclavage dans laquelle je me suis fourvoyé et dont je n'ai pris conscience qu'après cinquante ans. La vraie joie n'était pas au bout de ce chemin.


Sodome (Gn 18,22...)
Le Seigneur se tenait encore devant Abraham. Celui-ci s'approcha et dit : Vas-tu vraiment supprimer le juste avec le pécheur ? Peut-être y a-t-il cinquante justes dans la ville.
Abraham a obtenu le pardon de la ville pour 50, 45, 40, 30, 20 et même 10 justes...
il s'est arrêté là, et Sodome a été détruite.

Le décompte ne serait-il pas ici poursuivi : 5, 2 et finalement un juste qui a pris sur lui le péché du monde ?
Je vois assez facilement les deux premiers serviteurs engagés dans une course stressante vers le toujours plus : tu as été fidèle pour peu de choses, je t'en confierai beaucoup. Je te donne une médaille et cette fois-ci 1000 talents à faire fructifier. La logique du rendement prévaudrait aussi dans le domaine spirituel ? Cela ne ressemble pas à ce que dit Jésus : Mon joug est facile à porter, et mon fardeau, léger (Mt 11,30).

Mais alors, que faire ? Que faire de mes talents ? Ne pas les développer ou les laisser inemployés est évidemment stérile, coupable. J'ai à investir pleinement mes capacités au service des autres, à accepter les responsabilités, les risques.
Voilà que je me mets à sentir dans cette formulation la mauvaise odeur du riche (que je serais), capitalisant mes talents pour être généreux envers le pauvre (que seraient les autres). Le mélange en moi du bon grain et de l'ivraie est un fouillis inextricable que je ne peux démêler.
Je suis incapable de m'en sortir seul. Une seule solution : suivre celui qui appelle non pas les justes, mais les pécheurs (Mt 9,13). Non pas pour qu'il me rende parfait, mais pour aimer et être aimé dans mon état de pécheur.
La vraie joie, n'est-elle pas d'être aimé comme je suis, sans condition ?

Une lecture eucharistique

Situons-nous le jeudi saint, à la messe du soir.

Comme lors de toute eucharistie, la Parole est proclamée : la Torah, le pentateuque qu'évoquent les cinq talents.
La Parole nourrissante est partagée, elle se multiplie comme lors de la multiplication des pains. La joie en est le fruit.

Puis vient cette prière : Comme l'eau se mêle au vin pour le sacrement de l'Alliance, puissions-nous être unis à la divinité de celui qui a pris notre humanité.
Les deux talents pourraient nous faire penser à cette double origine de l'homme révélée dès l'origine : Dieu créa l'homme à son image, à l'image de Dieu il le créa, il les créa homme et femme (Gn 1,27). Joie du ciel qui s'unit à la terre, la bonne nouvelle en est portée aux quatre coins du monde !


Une parabole dans la parabole

Le Lion dans la jungle demande à la panthère de préparer cinq moutons parce qu'il a des invités. Aussitôt la panthère va dans la bergerie la plus proche, tue cinq moutons et les sert au Lion qui lui dit : "Bon et fidèle serviteur, je te ferai responsable de grandes choses".
Quelques semaines plus tard le Lion s'adresse au renard et lui dit : "J'ai besoin de deux poules pour mes invités" Le renard se précipite sur le poulailler le plus proche, saigne deux poules et les apporte au Lion. "Bon et fidèle serviteur, dit le Lion, je te promet un bon poste".
Après quelques mois le Lion rencontre le lapin et lui dit : "Prépares-moi à manger, je suis ton Roi". Le lapin se dit en lui même : "je ne sais pas voler ni tuer". Alors il a pris quelques brindilles et du bois. Devant le Lion il s'est étendu sur le bois et il a dit : "Je ne sais ni tuer ni voler, mais je me donne pour que tu me manges".

Mais ce n'est pas suffisant. La Parole - l'évangile du lavement des pieds (Jn 13) qui vient d'être lu - se réalise totalement. Dieu se fait serviteur.

Lui, de condition divine, ne retient pas jalousement le rang qui l'égalait à Dieu. Mais il s'anéantit lui-même, prenant condition d'esclave, et devenant semblable aux hommes.(Ph 2,6-7)
Comme Abraham, Dieu n'a pas refusé son fils, son fils unique (Gn 22,12). Son unique talent.
Le Fils de Dieu est devenu Fils de l'homme.
Il creusa la terre, il s'enfouit lui-même, prenant la condition d'argent, de péché.

Il est devenu serviteur, l'homme est devenu son maître !

Le maître demande des comptes. Les envahisseurs romains sont toujours là, les guerres succèdent aux guerres, les crises aux crises, les comptes bancaires ne se remplissent pas.
Dieu prétend s'être rendu proche, mais il n'y a là qu'un serviteur inutile, bon à rien.
Le talent offert est donné à celui qui en a dix. Il sera la clé pour comprendre les dix commandements, mais le maître ne le sait pas.
Ce que je veux faire, tu ne le sais pas maintenant ; plus tard tu comprendras (Jn 13,7).

S'étant comporté comme un homme, il s'humilia plus encore, obéissant jusqu'à la mort, et à la mort sur une croix ! (Ph 2,7-8)
Le serviteur bon à rien, jetez-le dehors dans les ténèbres ; là il y aura des pleurs et des grincements de dents !
Tout semble perdu.

Mais voyez la suite : Quand vient le Fils de l'homme, dans sa gloire, et tous les anges avec lui, alors il s'assoira sur son trône de gloire... (Mt 25,31...)
Aussi Dieu l'a-t-il exalté et lui a-t-il donné le Nom qui est au-dessus de tout nom, pour que tout, au nom de Jésus, s'agenouille, au plus haut des cieux, sur la terre et dans les enfers, et que toute langue proclame, de Jésus Christ, qu'il est SEIGNEUR, à la gloire de Dieu le Père. (Ph 2,9-11)

Pour aller plus loin

La parabole des talents est ainsi regardée sous un jour inhabituel. Voici des suggestions complémentaires :

Lire et méditer d'autres textes de Matthieu, par exemple ceux où apparaît l'expression "pleur et grincement de dents" : 8,12 – 13,40 – 13,50 – 22,13 – 24,51.
Ou ceux qui semblent dualistes, avec le camp des bons (un modèle à imiter) d'un côté et les méchants de l'autre.

Lire d'autres interprétations de la parabole des talents, par exemple "L'énigme des talents".

S'intéresser avec un œil neuf à des démarches "utopiques" telles que celle des objecteurs de croissance (casseurs de pub). Elles contiennent une part d'irréalisme ou d'idées discutables. Ces prophètes marginaux ont peu de moyens, leurs publications ne sont pas financées par la publicité ! Ils s'engagent dans une voie dérangeante au nom de la vérité. Une voie qui mène... on ne sait pas où ! Ne peut-on y voir un certain air de famille avec le comportement du troisième serviteur qui refuse de placer l'argent reçu ?

D'autres perceptions de la parabole

Recevoir UN talent, c'est recevoir notre vocation à devenir à l'image du Dieu UN. C'est trop pour le troisième serviteur, il a peur. Il cache son talent, il se cache.
Le maître vient à son secours d'une manière rude. Il permet à l'adversaire, l'impitoyable argent, de faire son oeuvre. Le serviteur est jeté dehors.
On peut penser à Loth. Pour le sauver, les deux anges le saississent par la main pour le faire sortir en dehors du lieu de perdition qu'est la ville de Sodome (Gn 19,16-17).
Tel Jonas, le serviteur passe par le chemin qu'il fuyait : la mort.
Dehors se trouve la croix, les pleurs. Il est libéré du joug de Satan, de ses peurs. C'est la résurrection. Il donne du fruit, trente, soixante, cent pour UN.
Dans la ligne du livre "L'énigme des talents" de Bruno Régent, réédité en 2017 dans la collection Vie chrétienne.

Le maître fait confiance. Il connaît chacun selon ses capacités. Il nous laisse libre.
Deux des serviteurs font fructifier ce qu'il leur confie, le troisième l'enterre : d'un côté la confiance, de l'autre la peur.
Nous sommes invités à nous convertir, à nous mettre en marche, à passer de la peur à la confiance et à l'Espérance.
La venue du Christ est un don, à chacun de le faire advenir par le don de soi aux autres selon ses propres capacités et talents.
J'essaie de transformer mon énergie en exerçant mes "talents" de façon raisonnable, sans tomber dans l'hyper activité. C'est un chemin difficile mais porteur d'un équilibre, d'une sérénité où je sens la présence du Christ.

(une femme de 60 ans)

Je vis douloureusement ma vieillesse : à plus de 85 ans, je ne suis plus capable, comme avant, de rendre service aux autres. Je me retrouve bien dans le troisième serviteur en situation d'échec, inutile.
Quand je reste seule, j'ai l'impression de ne plus intéresser personne, d'être jetée en dehors de la vie. Comment puis-je entendre comme un bonne nouvelle que le maître aussi est dur, qu'il me reproche de n'être plus bonne à rien. Va-t-il lui aussi me jeter dehors, dans les ténèbres extérieures ?

(témoignage rapporté par un animateur du Mouvement Chrétien des Retraités)

Épilogue

En scrutant l'évangile des mages, je remarque qu'Hérode demande à quelle date l'étoile est apparue (Mt 2,7). Quand il est question de temps ou de moment, c'est en général le mot grec Kairos qui est employé (10 occurrences en Matthieu). C'est le temps biblique, celui des fêtes et des saisons (Gn 1,14), celui de l'histoire d'alliance. Le Dieu des hébreux est dans le temps et non pas dans l'espace.
Or ici (Mt 2,7), et au verset 16 qui dit le massacre des enfants de Bethléem, c'est le mot Chronos qui est employé. Le temps d'Hérode est chronologique, c'est celui du Dieu grec Chronos (son homonyme, Cronos, mangeait ses enfants pour qu'ils ne le détrônent pas).
En dehors de l'histoire des mages, Matthieu n'emploie le mot Chronos qu'une seule autre fois, au verset 19 de la parabole des talents : Longtemps après, leur maître....
Un clin d'oeil de plus pour attirer notre attention, éveiller notre vigilance : ce maître pourrait bien être un nouvel Hérode, une autre figure de Satan que le troisième serviteur démasque...