35 Car j'avais faim, et vous m'avez donné à manger ; j'avais soif, et vous m'avez donné à boire ; j'étais un étranger, et vous m'avez accueilli ;
36 j'étais nu, et vous m'avez habillé ; j'étais malade, et vous m'avez visité ; j'étais en prison, et vous êtes venus jusqu'à moi !'
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Une analyse attentive des trois premiers versets nous a permis d'éviter le dualisme bons / méchants. Elle semble confirmée plus loin :
34 recevez en héritage le Royaume préparé pour vous depuis la création du monde.
41 Allez-vous-en loin de moi, maudits, dans le feu éternel préparé pour le démon et ses anges.
Le Royaume est pour nous, les brebis, tandis que le feu éternel n'est que pour le démon et ses anges. Peut-être après un arrachement difficile à certains démons intérieurs auxquels nous tenons...
Mais il y a un "car" qui sonne comme une condition. N'allons-nous pas devoir revenir en arrière, et distinguer ceux qui remplissent cette condition et ceux qui ne la remplissent pas ?
Regardons de plus près cette sextuple "condition" répétée quatre fois.
Une charité active est décrite de six manières qui font penser aux restos du coeur.
On peut donc prendre ce texte comme un encouragement à s'engager dans des oeuvres caritatives.
Il n'y a pas à critiquer cette manière d'entendre le texte au premier degré : elle est juste pour certains, pour un temps.
Mais elle peut être ressentie comme insuffisante :
La misère du monde est un abîme sans fond. Pourquoi me demander l'impossible ?
Si ma charité est guidée par la peur de l'enfer, elle est intéressée. Je serai stressé par le doute : en fais-je assez ?
Je n'ai peut-être pas les capacités ou le temps de m'engager ainsi aux service des pauvres.
Le salut serait-il pour les riches qui peuvent donner ? L'attitude du pharisien satisfait de sa générosité est condamnée par Jésus (Lc 18,9-14)
Prenons la première image : j'avais faim, et vous m'avez donné à manger.
S'il ne s'agit pas seulement de faim physique, qu'est-ce que cela peut évoquer ? Quand la Bible parle-t-elle de faim, de nourriture ?La faim pourrait être une faim de Parole, la faim du Verbe qui se donne en nourriture.
Le texte m'inviterait à "évangéliser" ? mais qui suis-je pour croire que j'ai la vérité et que je dois la porter aux autres ?
Et puis, le Christ est le "pain", c'est lui qui nourrit. Comment pourrait-il avoir faim... de sa propre Parole ?
De question en correspondance, je continue à chercher.
Lors de la multiplication des pains, Jésus dit à ses disciples : « Donnez-leur vous-mêmes à manger » (Mt 6,37).
Les disciples que nous sommes forment l'Église, le corps du Christ. Donner à manger, serait-ce se donner à manger ?
Nous serions à la fois convives et nourriture ?
Quand je crois avoir trouvé la bonne explication, attention ! je risque de ne plus cheminer.
Je peux alors chercher dans le texte ce qui va contre mon interprétation. Et humblement, me remettre en marche.
"Ne demande jamais ton chemin à quelqu'un qui le connaît, car tu pourrais ne pas t'égarer". (Aphorisme de Rabbi Nahman de Bratslav)
Quand le texte est travaillé, qu'il m'habite, l'assise en zazen aide à "descendre" pour ne pas rester superficiel.
Lâcher les idées, le mental, l'envie de trouver... Nettoyer les parasites, lâcher même les plus belles pensées. Les laisser brûler au feu de l'Amour.
Rejoindre la Présence dans mes entrailles.
Serait-ce Lui, le pauvre ? Le germe divin qui a faim. L'étranger, dont la Parole est pour moi tellement étrange, et qui voudrait simplement être accueilli tel qu'il est.
Celui que je rends malade de tout ce que j'avale. Celui qui reste emprisonné dans mes passions.
Simplement le visiter. Demeurer avec Lui. M'ajuster à Lui... et voilà que la brebis prend dans le texte le nom de "juste".
Les justes ignorent leur justesse, ils s'étonnent : Seigneur, quand est-ce que nous t'avons vu... ?
Comme peut-être l'abbé Pierre, ils ne comptent pas leurs mérites. Ils regardent ceux (Celui) qui sont encore mal logés.
Ils ne sont plus dans la connaissance du bien et du mal.
Ils sont délivrés du souci de "gagner le paradis" : ils le goûtent déjà.