Revenu Universel / La face cachée des dispositifs socio-fiscaux / Incohérence des salaires
MàJ 10 mars 2018

Les aides et prélèvements de l’État
incitent-ils à travailler plus ?

Le cas théorique simple présenté ici est celui d’un célibataire. Il n’a pas d’autre revenu que son salaire. Il est locataire, la valeur du logement qu’il occupe croit avec ses revenus.

Comment évoluent les aides de l’État (RSA, PA, APL, chèque énergie, CMU-C, ACS, avantages locaux), les réductions de cotisations sociales (réduction Fillon, CICE, AF) et les impôts (IR, TH, redevance) si le salaire augmente ? Le salarié est supposé payé au SMIC à temps partiel jusqu’à avoir atteint un salaire de 1498 € brut par mois. Au-delà, il est à temps plein.

Salaire brut mensuelChangements dans les prestations reçues et les impôts
0 €La personne touche le RSA forfait logement déduit (480 €)
+ une Allocation Personnalisée au Logement de 269 € (APL en zone 2),
+ un chèque énergie annuel équivalent à 12 € par mois,
+ des avantages locaux et divers (tarifs sociaux pour les transports…) estimés à 33 € par mois.
Elle bénéficie de la CMU-C (Couverture Maladie Universelle incluant la complémentaire santé), soit un avantage estimé à 47 € par mois.
Au total, son revenu disponible est de 854 €. Elle ne paye ni taxe d’habitation, ni redevance audiovisuelle, ni impôt sur le revenu.
0 à 650 €Le RSA est réduit du salaire reçu, mais cette baisse est partiellement compensée par la Prime d’Activité, un peu inférieure à 62 % de la partie perdue du RSA.
Aux aides de l’État versées au salarié s’ajoutent diverses réductions de cotisations patronales ciblées sur les bas salaires : la réduction Fillon (28 à 28,5 % du salaire brut selon l’employeur), le CICE (6 %) et la réduction de la cotisation « Allocations familiales » (1,8 %).
environ 600 €L’APL commence à baisser.
650 €Les aides locales commencent à baisser.
700 €Le RSA s’annule.
La redevance audiovisuelle est due, ainsi qu’une taxe d’habitation réduite (plafonnée).
Le montant du chèque énergie diminue.
La prime d’Activité atteint son maximum (273 €).
750 € (0,5 SMIC)La Prime d’Activité est majorée d’une bonification individuelle qui augmente peu à peu. Malgré cet ajout, elle continue à décroître au fur et à mesure de la hausse du salaire.
840 €La CMU-C (équivalente à une mutuelle gratuite) est remplacée par l’Aide à la Complémentaire Santé (ACS) qui finance à peu près 50 % d’une mutuelle.
900 €Le chèque énergie devient nul.
1160 €L'ACS est supprimée.
1200 € (0,8 SMIC)La bonification individuelle de la Prime d’Activité atteint son plafond (92 €).
1500 € (SMIC)L’APL devient nulle.
La réduction Fillon sur les cotisations patronales commence à baisser.
1750 €Le salarié devient imposable au taux marginal de 14 %. L’impôt est toutefois réduit de 20 % (réduction décidée en 2016 pour la « classe moyenne »).
2000 €La Prime d’Activité devient nulle.
2100 €Les aides locales disparaissent.
2350 €La réduction d’impôt de 20 % disparaît.
2400 € (1,6 SMIC)La réduction Fillon sur les cotisations patronales devient nulle.
2900 €Le plafonnement de la taxe d’habitation en fonction du revenu disparaît. Elle ne dépend plus que de la valeur du logement occupé. L’effet de seuil peut encore être important en 2018.
3150 €Le taux marginal de l’IR devient 30 %.
3200 €La réduction sur la taxe d’habitation décidée pour 80 % des foyers (30 % en 2018, elle devrait passer à 65 % en 2019 et 100 % en 2020), disparaît. L’effet de seuil sera très marqué en 2020 si la décision n’est pas aménagée.
3746 € (2,5 SMIC)Le CICE disparaît (effet de seuil marqué).
5245 € (3,5 SMIC)La réduction de cotisation « Allocations familiales » disparaît (effet de seuil).
8200 €Le taux marginal de l’IR passe à 41 %.

Quel est le résultat global de toutes ces mesures ? Le graphique suivant montre comment évoluent, en fonction du salaire brut :

Les cotisations retraite, chômage et indemnités journalières sont un avantage différé ou une assurance pour le salarié. Elles sont appelées cotisations contributives. Elles sont exclues de l’analyse. Seules sont prises en compte les cotisations non contributives (maladie…) qui s’apparentent à des impôts. Elles représentent 32,2 % du salaire brut.

Le graphique fait apparaître des évolutions presque linéaires.

Pour mettre en évidence l’effet des écarts par rapport à des droites, le graphique suivant montre la part qui revient à l’État si l’employeur accorde au salarié une petite hausse de salaire (environ 100 €).

Si les courbes du premier graphique étaient vraiment droites, le second serait plat : toute hausse de 100 € de salaire donnerait lieu au même prélèvement de l’État, que ce soit pour les salaires bas, moyens ou élevés. On voit qu’il n’en est rien. Alors que l’État prélève en moyenne 45 à 50 % de ce que débourse l’employeur (par les cotisations non contributives, la baisse des prestations et les impôts), il prélève en taux marginal : De plus, des pics se superposent, dépassant parfois 100 %. Par exemple, le CICE (6 % du salaire brut) s’annule brutalement quand le salaire brut atteint 3746 €. Dépasser ce seuil de 1 € coûte 225 € à l’employeur.

Des taux marginaux élevés constituent des trappes à pauvreté quand ils concernent des salaires inférieurs à 1000 ou 1200 €, et des trappes à bas salaires quand ils concernent des salaires peu élevés (de 1200 € à 1,6 SMIC).
Si l’on regarde la situation entre 0,5 SMIC (ou fin du droit au RSA) et 1 SMIC, on voit que contrairement au marketing relatif à la Prime d’Activité, il n’y a aucune incitation à travailler plus, au contraire. Le mode de calcul des APL en est le principal responsable. Comme dans cette plage, travailler plus n’améliore pas forcément les perspectives pour la retraite du fait du plancher que constitue l’ASPA, on comprend que ceux qui en ont conscience soient tentés par le travail au noir.

Un autre phénomène est à souligner : les dispositifs en cause sont nombreux. Certains relèvent de l’entreprise, d’autres de la situation familiale, d’autres du logement. De plus, ils ne sont pas stables.

Le cas d’un couple

Si le salarié a un conjoint sans revenus, le graphique devient le suivant :

Tout en ayant le même look, il est différent. Voici le premier graphique, repris dans le cas d’un couple et zoomé sur les plus bas salaires :

On voit bien que les aides de l’État diminuent plus rapidement à partir de 800 € de revenu brut, aux dépens du salarié dont le revenu disponible végète, puis à partir du SMIC et jusqu’à 1,6 SMIC, aux dépens de l’employeur… qui est incité à ne pas augmenter le salaire.

Les situations réelles étant diverses (famille avec enfants, foyer monoparental, conditions de logement différentes, présence de revenus financiers...), personne ne peut anticiper les conséquences d’une hausse salariale sur le niveau de vie du bénéficiaire. L’intéressé lui-même n’en aura après coup qu’une vision partielle, probablement limitée à sa fiche de paie.

Face à l’incertitude, la réaction bien compréhensible de beaucoup de personnes bénéficiant des minimas sociaux (RSA, Prime d’Activité, ASS pour les chômeurs en fin de droits) est de préserver ce qu’elles ont. Tout changement dans leurs revenus étant susceptible d’entraîner une catastrophe (prestations réduites, voire radiation), la prudence les conduit à ne pas déclarer un éventuel revenu occasionnel. Le travail au noir devient pour eux une nécessité vitale.

Incidence sur une proposition de revenu de base

Comment réduire les effets secondaires négatifs qui sont la conséquence de la superposition historique de multiples tentatives d'améliorations ? Certainement pas en ajoutant des rustines !
La solution est à rechercher dans la simplification des dispositifs, pour les rendre lisibles, mono-objectifs, individuels et linéaires. C’est le principe du « revenu de base ». En garantissant à tous un revenu inconditionnel, il devrait permettre à chacun de déclarer en toute sérénité un revenu occasionnel. L’État se contentera d’en prélever une proportion connue d’avance, sans autres conséquences.

Fin 2018, une augmentation de la réduction Fillon est prévue. Son but est que le « mur du SMIC », qui empêche les exclus d’entrer dans le monde du travail, baisse pour l’employeur sans baisser pour les salariés. Les aides de l’État, déjà très importantes pour les smicards, vont encore augmenter. Les effets pervers de la non-linéarité vont s’accentuer. Si l’on remplace la courbe rouge par une droite (principe d’un revenu de base), ou bien ces aides vont diminuer (à budget constant), ou bien la droite passera au-dessus de la courbe actuelle, correspondant au rêve d’un impossible alignement par le haut.
Notons que cette petite baisse du revenu disponible d’un smicard ne concernera que les célibataires. Les couples ayant des revenus modestes seront forcément gagnants, puis qu’ils bénéficieront d’un revenu de base par personne.