Société malade / Quelle alternative ? / Roosevelt 2012
MàJ 8 mars 2014

Collectif Roosevelt 2012
Commentaire critique des 15 réformes proposées

Du nouveau avec Nouvelle Donne (mars 2014)

Membre fondateur du collectif Roosevelt, Pierre Larrouturou, déçu de l'accueil de ses idées par le parti socialiste, a créé en 2013 le parti "Nouvelle Donne".
Les 15 réformes sont devenues 20 (voir le site de Nouvelle Donne) puis 31 (voir projet), ce qui leur donne une dynamique et répond à certaines de mes craintes.
Les commentaires ci-dessous datent donc, certains deviennent des "points de vigilance" plutôt que des réserves. Voir plus loin mon analyse de Nouvelle Donne

Regle

Enfin une analyse osant remettre en cause certains fondements de notre société capitaliste.
Si l'impression première est positive (j'ai rejoint le mouvement), la relecture fait néanmoins prendre conscience de lacunes ou de préjugés idéologiques.
La gravité de la crise est bien mise en évidence, mais les solutions proposées ne sont pas à la hauteur de ce constat.
Voter oui ou non ne suffit pas, il faut réfléchir et débattre !

L'extrême gravité de la situation

Le titre de l'analyse préliminaire est juste. Mais affirmer que "Le chômage n’est pas seulement une des conséquences de la crise. Il en est l’une des causes premières" est une affirmation non prouvée, suspecte d'idéologie partisane.
Je préfère la suite : "C’est d’abord et avant tout une crise du Capitalisme dérégulé et non pas une crise de l’Etat-providence". Bien que confondre État et Père Noël...

1. Redonner de l'oxygène à nos États, diminuer très fortement les taux d'intérêt sur la vieille dette

Commencer par cette réforme, la commenter en disant que "Asphyxiés par de tels taux d’intérêt, les gouvernements sont poussés à bloquer les retraites, les allocations familiales ou les salaires des fonctionnaires et à couper dans les investissements, ce qui accroît le chômage et va nous faire plonger bientôt dans une récession d’une extrême gravité" sera compris par beaucoup comme "un mécanisme technique va résoudre le problème", "les efforts, c'est pour les autres".
Critiquer les banques qui "prêtent à des taux très élevés, tout en sachant qu’il n’y a sans doute aucun risque réel puisque le Fonds Européen de Sécurité est là pour garantir la solvabilité des états emprunteurs" va dans le même sens démagogique.
L'austérité est fustigée, ainsi qu'un "tout petit nombre" qui chercherait à "sauver ses rentes".

J'ai écouté plusieurs fois Pierre Larrouturou (C dans l'air le 6 juin 2012...), il demande effectivement que la BCE prête aux États... pour que l'on puisse dépenser plus !!! Une lettre du collectif Roosevelt à Jean-Marc Ayrault du 28/12/2012 dit : la Banque centrale européenne (BCE) peut prêter sans limites aux organismes publics de crédit (article 21.3 du statut du système européen des Banques centrales) et aux organisations internationales (article 23 du même statut). Elle peut donc prêter à 0,01 % à la Banque européenne d’investissement (BEI), à la Caisse des dépôts ou à telle ou telle banque publique nationale, qui, elles, peuvent prêter à 0,02 % aux Etats, qui s’endettent pour rembourser leurs vieilles dettes.

Il faudrait commencer par affirmer l'objectif majeur de rembourser 2000 milliards de dettes en 20 ans, grâce à un excédent budgétaire annuel de 100 milliards. Et ensuite, répartir la facture : un peu d'impôts pour ceux qui ont un peu de moyens (revenus et patrimoine), beaucoup pour les épargnants qui en ont beaucoup. Non pas diviser les français, mais les unir !
Il serait bien de préciser que les emprunts souscrits seront honorés. Seul leur renouvellement pourrait être consenti à taux faible via la banque centrale.

2. Dégager de nouvelles marges de manœuvre financières, créer un impôt européen sur les bénéfices des entreprises

Pourquoi des marges de manoeuvres financières ? Pour rembourser la dette ? Cette formulation me fait craindre que ce soit pour dépenser plus et rester endettés. Comme contribuable, je demande d'apurer la dette le plus vite possible pour ne plus avoir à en payer les intérêts !
Une phrase laisse entendre qu'un déficit public de 4% du PIB serait satisfaisant. C'est doublement choquant : rapporter le déficit au PIB est trompeur, et il faut viser un fort excédent.

Par contre, éviter le dumping social entre pays est essentiel. Il est scandaleux que Renault puisse mettre les États (Maroc...) en concurrence pour choisir le lieu d'implantation de ses usines.

3. Mettre fin au sabordage fiscal national

Trois omissions dans cette 3ème réforme :

4. Boycotter les paradis fiscaux, utiliser le levier de la commande publique

Cette question essentielle est traitée de manière dualiste simpliste. Il n'y a pas d'un côté des pays propres, et de l'autre des pays véreux, mais tout un ensemble de disparités fiscales, réglementaires et sociales.
Pour mener à bien cette réforme difficile, on a besoin des compétences des spécialistes financiers. Les diaboliser n'est pas constructif.

5. Limiter au maximum les licenciements

Je crains des mesures centralisées autoritaires contre-productives, une crispation sur un modèle économique figé qui ne correspond plus à la réalité d'aujourd'hui.
Le politique ne doit pas ôter aux acteurs économiques leurs responsabilités et leurs libertés en intervenant dans des cas particuliers. Le centralisme bureaucratique peut être pavé de bonnes intentions, il reste un enfer.

6. Sécuriser les précaires

Assurer un minimum vital à tous est nécessaire. Mais verser 90% de leur traitement aux chômeurs pendant 4 ans est exagéré pour les revenus supérieurs à la moyenne.
Un Revenu de Base me paraît être la meilleure solution.
Passer d'une société de la coercition où l'on parle de Devoir à une société de Liberté où on parlera de Responsabilité,
tel est peut-être l'un des enjeux du revenu de base inconditionnel.
Jeff Renault

7. Interdire aux banques de spéculer avec notre argent, séparer les banques de dépôt et les banques d'affaires

Séparer banques de dépots et banques d'affaires est une mesure urgente susceptible de limiter la casse lors de la prochaine explosion de la bulle. Hélas, le projet de loi du gouvernement (début 2013) est un faux-semblant, les lobbies bancaires le rendent inoffensif. Gaël Giraud, qui dénonce avec compétence cette imposture, fait l'objet de pressions pour se taire, ainsi que Terra Nova qui publie son analyse.

Sur le fond, il faut limiter la spéculation, par exemple en baissant le taux d'usure, en taxant les transactions boursières et les profits importants...
Quant à développer des monnaies complémentaires, ne serait-ce pas contraire à la solidarité en encourageant des échanges échappant aux impôts ? Patrick Viveret a un point de vue plus positif : Ce sont des moyens d'échange sans taux d'intérêt, s'intéressant à la nature de l'échange (la monnaie classique ne distingue pas l'argent sale) et qui pourraient être des filets de sécurité en cas de crise majeure.

8. Créer une vraie Taxe sur les Transactions Financières

OK. Là encore, on a besoin des spécialistes financiers pour le faire efficacement.

9. Lutter contre les délocalisations, imposer le respect des normes sociales et environnementales dans le commerce mondial en convoquant un nouveau Sommet de Philadelphie

La lutte contre le dumping rejoint la 2ème réforme.
Le mot "environnemental" qui apparaît dans le titre est ensuite oublié. On préfère créer des emplois inutiles que de réduire la consommation ou de lutter contre l'obsolescence programmée ?

10. Investir dans une vraie politique du logement, pour créer massivement des emplois et faire baisser les loyers

OK, d'autant que les logements neufs sont économes en énergie, et que c'est une occasion de développer la mixité sociale.
Il est malsain d'associer à cet objectif celui de la création d'emplois qui n'est qu'un moyen, une conséquence. La mentalité sous-jacente à cette formulation conduit à justifier des emplois inutiles ou nuisibles, et à freiner les gains de productivité.

11. Déclarer la guerre au dérèglement climatique

OK sur les priorités : "1. économiser l’énergie. 2. économiser l’énergie. 3. économiser l’énergie".
Mais pourquoi recommander les éoliennes indirectement très émettrices de CO2 (des centrales thermiques en prennent le relai quand il n'y a pas de vent) et les panneaux photovoltaïques très polluants à construire ? Alors que le nucléaire, sujet sans doute trop passionné, n'est même pas cité ?

Imposer la mise aux normes énergétiques des bâtiments anciens relève d'un fantasme de toute puissance puéril : abracadabra, tous les logements sont bien isolés ! Les lois relatives à la sécurité incendie et à l'accès des handicapés dans les bâtiments recevant du public imposent des dépenses impossibles et relèvent du même fantasme. Elles condamnent les responsables à vivre hors-la-loi ou à fermer.

On pourrait simplement :

Pourquoi ne pas avouer qu'on n'a pas de solution miracle et insister simplement sur la décroissance de la consommation d'énergie ? Cette réforme est fortement suspecte de partialité et d'utopie.

12. Développer l’économie sociale et solidaire

L'ESS est par nature décentralisée et sans but lucratif. Je crains dans la formulation un pilotage centralisé (bureaucratique) qui orienterait l'activité vers la chasse aux subventions, une horreur !

13. Négocier un autre partage du temps de travail

Attacher le salaire à une durée de travail est une conception obsolète, déconnectée d'une grande part de la réalité d'aujourd'hui. En plus, les chiffres, donnés par semaine au lieu d'être annuels, n'ont pas de sens.
Par endroit, on a l'impression que la productivité est l'ennemi, la cause du chômage. Faudrait-il s'en priver ?
Quand on lit : "le seul moyen de rééquilibrer le marché du travail pour augmenter vraiment les salaires, le meilleur moyen aussi de sauver les retraites, c’est de s’attaquer frontalement au chômage. Ce qui passe (entre autres actions) par une forte baisse du temps de travail", on a l'impression de retrouver la pire des démagogies électorales. Nous ne sommes pas en situation d'augmenter les salaires, mais de remplacer la richesse matérielle par la joie de vivre solidaires !
Voir mes réflexions sur la difficulté de définir les bases d'un salaire "juste" et sur une alternative à base d'un minimum vital pour tous. Avec cette garantie, les acteurs ne pourraient-ils pas s'organiser librement au plus près de réalités diverses ?

Les réformes 5 et 13 semblent sous-tendues par une idéologie centralisatrice de gauche refusant les différences. La même qui a fait tant de mal à l'éducation nationale en imposant une pédagogie uniforme pour tous, avec comme résultat le nivellement par le bas et l'illettrisme de beaucoup. Négocier un nouveau contrat social au niveau national et le soumettre à référendum (oui / non), c'est déposséder les citoyens de leur liberté et de leurs responsabilités en leur imposant l'uniformité. C'est gravissime.

La réforme 13 se termine par un plaidoyer pour une échelle des revenus allant de 1 à 20, et non pas de 1 à 400. J'y souscris. L'impôt étant le moyen le plus simple pour y arriver rapidement, cette mesure devrait être intégrée à la réforme n°3. L'échelle des patrimoines devrait aussi être réduite (par l'ISF, les droits de succession...).

14. Faire éclore la démocratie en Europe, changer radicalement les institutions

Que vient faire dans ce plaidoyer une défense du centralisme français des programmes scolaires, au motif qu'une remise en cause "mettrait des milliers de gens dans la rue" ? Le premier objectif de l'éducation nationale serait de préserver les emplois de fonctionnaires de son très lourd appareil bureaucratique ?
Je ne suis pas compétent sur l'Europe, je ne peux pas faire confiance au rédacteur d'une telle phrase. J'y vois l'influence de la ligue de l'enseignement (voir wiki: Ligue de l'enseignement), représentée dans le collectif.

15. Négocier un vrai Traité de l’Europe sociale

Il est vrai que le dumping social est une plaie aussi grave que le dumping fiscal ou réglementaire. Ceci dit, la convergence des niveaux de vie, inéluctable et souhaitable, ne pourra pas se faire "par le haut" sans remettre en cause des "avantages acquis".
Je regrette que les critères de Maastricht : déficit inférieur à 3%, dette inférieur à 60% du PIB soient rappelés sans qu'il soit dit qu'il faut les ramener à 0. Le souci de la dette affiché au début ("extrême gravité de la situation") est, hélas, oublié à la fin.

La dernière réforme se termine par l'image de manifestants descendus dans la rue pour défendre le service public. J'ai trop vu que ces slogans cachaient (mal) la défense d'intérêts acquis et le refus de tout changement, je ne peux que dire "non" à la conception de la démocratie sous-jacente à une telle présentation.

Manifestants

Conclusion

Cette démarche constitue une avancée par rapport aux débats électoraux actuels.
J'aurais aimé qu'il soit proposé de voter réforme par réforme pour encourager une vraie réflexion.

Si certaines propositions faites au plan financier me semblent aller dans le bon sens (réduire la dette et les inégalités), celles qui concernent le travail et le chômage ne me satisfont pas. Le diagnostic ne prend pas en compte l'inutilité ou la nocivité d'une part importante des activités économiques actuelles (voir Emplois inutiles). Cette réalité semble compliquer un problème déjà très difficile. Ne pas la regarder en face, c'est s'interdire de trouver une vraie alternative à la société capitaliste moribonde.

Les mesures désagréables ou qui demandent un effort (consommer moins) ne visent que les très riches, une infime partie de l'électorat. La démarche se révèle donc être démagogique. Une confirmation : je lis que "Mercredi 14 novembre 2012, de nombreux membres du collectif Roosevelt2012 étaient dans la rue comme des millions de citoyens européens pour dire « Non » à l’austérité. J'aurais préféré un oui à la tempérance solidaire...
Dans la 15ème réforme, une idéologie de gauche apparait clairement : celle qui prend la sujétion aux pulsions de l'ego pour la liberté, qui refuse les différences (mariage homosexuel), qui refuse la souffrance et la mort (euthanasie)...

J'ai assisté à une réunion de ce collectif. L'ambiance était celle d'une réunion de militants socialistes, soucieux avant tout de gagner les élections.

Et maintenant

Les diapos présentées en 2012 par Pierre Larrouturou et Patrick Viveret méritent d'être regardées. La situation s'aggrave dramatiquement.
La proposition de mai 2013 de manifester à nouveau avec le slogan "Non à l'austérité : il y a des alternatives" me déçoit profondément.
Pierre Larrouturou et Michel Rocard préconisent dans La Croix du 27 septembre 2013 "une société de créativité et de convivialité, sans croissance". Une orientation intéressante !