Bible / Comment lire la Bible / Les quatre sens de l'Écriture
MàJ 12 février 2023

Bible : les quatre sens de l'Écriture

Il y a différentes manières, complémentaires, de recevoir la Parole : le sens littéral, et des sens spirituels. Ces manières nous viennent de la tradition juive (voir Pardès) et des Pères de l'Église.

Ces sens sont pluriels (le rabbin Marc-Alain Ouaknin parle de "lire aux éclats"), alors que dans notre culture, influencée par la logique grecque, une affirmation a un sens unique.
Lire la Bible demande une conversion de notre structure mentale, c'est comme apprendre une autre langue.

1. Le sens littéral

C'est le sens "au premier degré", anecdotique.

Par exemple, Dieu a donné la manne aux hébreux affamés dans le désert. Je le prends comme un fait qui est relaté.
Je peux chercher une explication matérielle à ce fait - par exemple, un phénomène de condensation de la rosée matinale - ou parler de miracle : je suis toujours dans le sens littéral.
Je peux contester l'historicité du fait, étudier le genre littéraire du texte, le contexte dans laquel il a été écrit : je suis encore dans le sens littéral.

Les Pères de l'Église disent que quand ce sens n'est pas satisfaisant (invraisemblable, ou qu'il ne nourrit pas spirituellement...), il convient de chercher d'autres sens.

2. Le sens symbolique ou allégorique.

En reprenant le même exemple, la nourriture (le pain) peut être comprise comme une image de la Parole de Dieu, et la manne comme une image de la Torah.
Le mot "manne" en araméen veut dire "qu'est-ce que c'est" : invitation à lire la Torah en allant de questions en questions.

Les sens symboliques se diversifient et s'enrichissent quand on médite ensemble deux textes bibliques et en les situant dans l'histoire d'Alliance – donc en les référant à Dieu. Par exemple, on peut associer la manne (Exode) et les arbres du jardin donnés à manger à Adam (Genèse).
Les sens symboliques (pluriels) des images se cherchent dans la Bible, et non pas dans un dictionnaire des symboles.

Les symboles liturgiques rejoignent les symboles bibliques, ils s'appuient sur eux. Dans un parcours catéchétique, ils ne viennent normalement que dans un second temps, une fois acquise la démarche symbolique de la bible.

Pour un chrétien, les sens symboliques sont prioritairement recherchés par rapport au Christ, par association de textes des deux testaments. C'est l'interprétation "typologique" de l'ancien testament (voir encadré). C'est ce que font les pèlerins d'Emmaüs (Lc 24,13-35).
Ainsi, le Christ étant le Verbe fait chair (la Parole), on pourra chercher à éclairer le sens de l'eucharistie en méditant sur la multiplication des pains et sur la manne. C'est évidemment une démarche radicalement autre qu'une adoration de l'hostie, une croyance littérale ou magique dans la "présence réelle".

Exemple d'interprétation typologique : 1 Co 10,1-6
Frères, je ne voudrais pas vous laisser ignorer que, lors de la sortie d’Égypte, nos pères étaient tous sous la protection de la nuée, et que tous ont passé à travers la mer. Tous, ils ont été unis à Moïse par un baptême dans la nuée et dans la mer ; tous, ils ont mangé la même nourriture spirituelle ; tous, ils ont bu la même boisson spirituelle ; car ils buvaient à un rocher spirituel qui les suivait, et ce rocher, c’était le Christ. Cependant, la plupart n’ont pas su plaire à Dieu : leurs ossements, en effet, jonchèrent le désert. Ces événements devaient nous servir d’exemple (le mot grec est tupos, le type, d'où vient typologie), pour nous empêcher de désirer ce qui est mal comme l’ont fait ces gens-là.

3. Le sens moral ou existentiel.

Il peut s'agir simplement de lois, de règles. Les juifs ont retenu dans la Torah 613 commandements. On est alors dans un sens "moral littéral".
Le sens existentiel surgit quand la Parole éclaire ma vie ou qu'un événement de ma vie me fait comprendre la Parole.
Ces correspondances existentielles sont facilitées par les correspondances symboliques. Par exemple, j'ai peut-être expérimenté que la Parole réchauffée (ce qui m'a donné vie une fois et que je répète) ne me donne plus vie, comme la manne ne conserve pas plusieurs jours (Ex 16,19).

4. Le sens mystique

Alors que les sens précédents peuvent être cherchés avec les moyens humains (réflexions, discussions, lectures...), le sens mystique "survient" : la Parole, préalablement travaillée au plan humain, prend feu. L'Esprit, qui a déjà inspiré les rédacteurs de la Bible, agit en moi lecteur. Le mystère du Royaume des cieux se dévoile.

Les mots de la Bible ne sont pas la Parole de Dieu. Ce n'est qu'avec l'Esprit qu'ils le deviennent pour moi, que Dieu me parle.

Appauvrissement du sens

Depuis le XIIIème siècle, sous l'influence d'une culture occidentale devenant scientifique, le sens symbolique s'est largement perdu. Il suffit de regarder la différence entre les chapiteaux romans et l'art religieux figuratif postérieur pour s'en rendre compte.

Le sens littéral a été idéalisé, intellectualisé dans les catéchismes et les dogmes. Le sens moral est devenu moralisant : un lourd fardeau d'obligations et d'interdictions.
Les recherches historico-critiques ont déstabilisé les croyances dans l'exactitude des récits bibliques. Comme des adolescents qui ne peuvent plus croire au Père Noël, nombre de chrétiens ont quitté le bateau.
Les symboles mettent sur la voie d'une foi en Jésus-Christ et d'une conversion radicale : non plus respecter la loi, mais entendre la parole "Viens et suis-moi". "Quitter" pour cheminer avec Lui sans savoir où Il va, vers "Jérusalem", vers la passion et la résurrection.

Sens propre et sens métaphorique (selon Jean-Marie Martin)

Pour prendre conscience de ce que cette distinction est chez nous constitutive de notre être natif d'occidentaux, il faut savoir qu'elle correspond à la distinction de l'intelligible et du sensible. Le sens propre est toujours intelligible et le sens métaphorique, également appelé figuré, est exprimé à l'aide d'éléments sensibles pour signifier de façon floue mais parlante quelque chose qui pourrait être dit dans un langage conceptuel. Telle est notre pensée d'occidentaux, et cela raye une bonne fois pour toutes toute possibilité de lire les textes qui ne sont pas construits sur ce présupposé, et même d'entendre des poètes authentiques de notre propre Occident. Il n'est aucun poète qui acceptera de distinguer dans son texte des choses qui sont de sens propre et des choses qui sont de sens métaphorique, c'est-à-dire de distinguer entre la physis et quelque chose qui est autre que la physis. Ça c'est le regard du métaphysicien – l'Occident est métaphysicien, il n'a jamais été aussi métaphysicien. C'est notre héritage et tout théologien, tout exégète persiste à questionner le texte sous ces rapports-là, et cela même s'il a la sagacité de dire que ce n'est pas pertinent. Ce qui nous importe, ce n'est pas de dire une fois en passant que ce n'est pas pertinent, c'est d'essayer de laisser venir en nous l'espace possible de pensée dans lequel cette distinction est inopérante. Il s'agit d'essayer d'entendre le texte non pas à partir de nos présupposés questionnants et désobligeants pour le texte, mais à partir de ce qui constitue la structuration propre du texte.
La plupart des questions dont nous importunons le texte sont issues de nos propres idées. C'est du reste normal, il est même tout à fait nécessaire d'en prendre conscience. C'est pourquoi j'aime beaucoup les questions qui surgissent spontanément à notre oreille, cependant elles ne sont pas faites pour être répondues, elles sont faites pour que progressivement on s'aperçoive qu'elles tombent d'elles-mêmes comme questions.

Commentaire de saint Ephrem
La parole de Dieu est une source inépuisable

Qui donc est capable de comprendre toute la richesse d'une seule de tes paroles, Seigneur ? Ce que nous en comprenons est bien moindre que ce que nous en laissons ; comme des gens assoiffés qui boivent à une source. Les perspectives de ta parole sont nombreuses, comme sont nombreuses les orientations de ceux qui l'étudient. Le Seigneur a coloré sa parole de multiples beautés, pour que chacun de ceux qui la scrutent puisse contempler ce qu'il aime. Et dans sa parole il a caché tous les trésors, pour que chacun de nous trouve une richesse dans ce qu'il médite.
La parole de Dieu est un arbre de vie qui, de tous côtés, te présente des fruits bénis ; elle est comme ce rocher qui s'est ouvert dans le désert pour offrir à tous les hommes une boisson spirituelle. Selon l'Apôtre, ils ont mangé un aliment spirituel, ils ont bu à une source spirituelle.
Celui qui obtient en partage une de ces richesses ne doit pas croire qu'il y a seulement, dans la parole de Dieu, ce qu'il y trouve. Il doit comprendre au contraire qu'il a été capable d'y découvrir une seule chose parmi bien d'autres. Enrichi par la parole, il ne doit pas croire que celle-ci est appauvrie ; incapable de l'épuiser, qu'il rende grâce pour sa richesse. Réjouis-toi parce que tu es rassasié, mais ne t'attriste pas de ce qui te dépasse. Celui qui a soif se réjouit de boire, mais il ne s'attriste pas de ne pouvoir épuiser la source. Que la source apaise ta soif, sans que ta soif épuise la source. Si ta soif est étanchée sans que la source soit tarie, tu pourras y boire à nouveau, chaque fois que tu auras soif. Si au contraire, en te rassasiant, tu épuisais la source, ta victoire deviendrait ton malheur.
Rends grâce pour ce que tu as reçu et ne regrette pas ce qui demeure inutilisé. Ce que tu as pris et emporté est ta part ; mais ce qui reste est aussi ton héritage. Ce que tu n'as pas pu recevoir aussitôt, à cause de ta faiblesse, tu le recevras une autre fois, si tu persévères. N'aie donc pas la mauvaise pensée de vouloir prendre d'un seul trait ce qui ne peut être pris en une seule fois ; et ne renonce pas, par négligence, à ce que tu es capable d'absorber peu à peu.

Pour aller plus loin

Lisez les documents Lecture juive de la Bible.pdf (130 pages) et 2ème partie (67 pages). Ils valent la peine malgré une mise en forme imparfaite (retranscription d'un cours, semble-t-il).
Au vu de son érudition, l'auteur, RP Nathan (un pseudonyme ?) pourrait être proche des juifs messianiques.

De Catherine Chalier, Un livre du ciel et de la terre, et d'autres articles de la revue PARDÈS

Suite