Ces sens sont pluriels (le rabbin Marc-Alain Ouaknin parle de "lire aux éclats"), alors que dans notre culture, influencée par la logique grecque, une affirmation a un sens unique.
Lire la Bible demande une conversion de notre structure mentale, c'est comme apprendre une autre langue.
Par exemple, Dieu a donné la manne aux hébreux affamés dans le désert. Je le prends comme un fait qui est relaté.
Je peux chercher une explication matérielle à ce fait - par exemple, un phénomène de condensation de la rosée matinale - ou parler de miracle : je suis toujours dans le sens littéral.
Je peux contester l'historicité du fait, étudier le genre littéraire du texte, le contexte dans laquel il a été écrit : je suis encore dans le sens littéral.
Les Pères de l'Église disent que quand ce sens n'est pas satisfaisant (invraisemblable, ou qu'il ne nourrit pas spirituellement...), il convient de chercher d'autres sens.
Les sens symboliques se diversifient et s'enrichissent quand on médite ensemble deux textes bibliques et en les situant dans l'histoire d'Alliance – donc en les référant à Dieu. Par exemple, on peut associer la manne (Exode) et les arbres du jardin donnés à manger à Adam (Genèse).
Les sens symboliques (pluriels) des images se cherchent dans la Bible, et non pas dans un dictionnaire des symboles.
Les symboles liturgiques rejoignent les symboles bibliques, ils s'appuient sur eux. Dans un parcours catéchétique, ils ne viennent normalement que dans un second temps, une fois acquise la démarche symbolique de la bible.
Pour un chrétien, les sens symboliques sont prioritairement recherchés par rapport au Christ, par association de textes des deux testaments. C'est l'interprétation "typologique" de l'ancien testament (voir encadré). C'est ce que font les pèlerins d'Emmaüs (Lc 24,13-35).
Ainsi, le Christ étant le Verbe fait chair (la Parole), on pourra chercher à éclairer le sens de l'eucharistie en méditant sur la multiplication des pains et sur la manne. C'est évidemment une démarche radicalement autre qu'une adoration de l'hostie, une croyance littérale ou magique dans la "présence réelle".
Les mots de la Bible ne sont pas la Parole de Dieu. Ce n'est qu'avec l'Esprit qu'ils le deviennent pour moi, que Dieu me parle.
Le sens littéral a été idéalisé, intellectualisé dans les catéchismes et les dogmes. Le sens moral est devenu moralisant : un lourd fardeau d'obligations et d'interdictions.
Les recherches historico-critiques ont déstabilisé les croyances dans l'exactitude des récits bibliques. Comme des adolescents qui ne peuvent plus croire au Père Noël, nombre de chrétiens ont quitté le bateau.
Les symboles mettent sur la voie d'une foi en Jésus-Christ et d'une conversion radicale : non plus respecter la loi, mais entendre la parole "Viens et suis-moi". "Quitter" pour cheminer avec Lui sans savoir où Il va, vers "Jérusalem", vers la passion et la résurrection.
Dans la parabole du semeur [Mc 4 ; Mt 13 ; Lc 8], Jésus raconte puis explique, avec notamment deux phrases clés :
ils ont donné du fruit en poussant et en se développant, et ils ont produit trente, soixante, cent, pour un [Mc 4,5]. Pourquoi ces trois nombres ? Pourquoi Matthieu les donne-t-il dans le sens inverse, 100, 60, 30 ? [Mt 13,8]
Car celui qui a, on lui donnera ; celui qui n’a pas, on lui enlèvera même ce qu’il a [Mc 4,25]. S'agit-il de donner aux riches, et de retirer aux pauvres ce qu'ils n'ont pas ???
Voir deux pages qui commentent.
Qui donc est capable de comprendre toute la richesse d'une seule de tes paroles, Seigneur ? Ce que nous en comprenons est bien moindre que ce que nous en laissons ; comme des gens assoiffés qui boivent à une source. Les perspectives de ta parole sont nombreuses, comme sont nombreuses les orientations de ceux qui l'étudient. Le Seigneur a coloré sa parole de multiples beautés, pour que chacun de ceux qui la scrutent puisse contempler ce qu'il aime. Et dans sa parole il a caché tous les trésors, pour que chacun de nous trouve une richesse dans ce qu'il médite.
La parole de Dieu est un arbre de vie qui, de tous côtés, te présente des fruits bénis ; elle est comme ce rocher qui s'est ouvert dans le désert pour offrir à tous les hommes une boisson spirituelle. Selon l'Apôtre, ils ont mangé un aliment spirituel, ils ont bu à une source spirituelle.
Celui qui obtient en partage une de ces richesses ne doit pas croire qu'il y a seulement, dans la parole de Dieu, ce qu'il y trouve. Il doit comprendre au contraire qu'il a été capable d'y découvrir une seule chose parmi bien d'autres. Enrichi par la parole, il ne doit pas croire que celle-ci est appauvrie ; incapable de l'épuiser, qu'il rende grâce pour sa richesse. Réjouis-toi parce que tu es rassasié, mais ne t'attriste pas de ce qui te dépasse. Celui qui a soif se réjouit de boire, mais il ne s'attriste pas de ne pouvoir épuiser la source. Que la source apaise ta soif, sans que ta soif épuise la source. Si ta soif est étanchée sans que la source soit tarie, tu pourras y boire à nouveau, chaque fois que tu auras soif. Si au contraire, en te rassasiant, tu épuisais la source, ta victoire deviendrait ton malheur.
Rends grâce pour ce que tu as reçu et ne regrette pas ce qui demeure inutilisé. Ce que tu as pris et emporté est ta part ; mais ce qui reste est aussi ton héritage. Ce que tu n'as pas pu recevoir aussitôt, à cause de ta faiblesse, tu le recevras une autre fois, si tu persévères. N'aie donc pas la mauvaise pensée de vouloir prendre d'un seul trait ce qui ne peut être pris en une seule fois ; et ne renonce pas, par négligence, à ce que tu es capable d'absorber peu à peu.
De Catherine Chalier, Un livre du ciel et de la terre, et d'autres articles de la revue PARDÈS