Bible / Le jugement dernier / Transition avec la parabole des talents
19 février 2024

30 Et le serviteur inutile, jetez-le dehors, dans la ténèbre extérieure : là sera le pleur et le grincement de dents !
31 Quand vient le Fils de l'homme, dans sa gloire, et tous les anges avec lui, alors il s'assoira sur son trône de gloire.

(traduction littérale)
 
Version pdf imprimable
Imaginons le texte mis en musique, une symphonie. Le contraste entre les versets 30 (fin de la parabole des talents) et 31 est saisissant.
L'échec et la mort, et soudain, la gloire, les trompettes qui annoncent l'arrivée du Roi.

Quel est celui qui ose venir, triomphant, là où il y a la ténèbre, le pleur, le grincement des dents ?
Un puissant qui écrase les malheureux ? de la même race que celui qui a condamné le serviteur inutile ? qui jetera de même les boucs dans le feu éternel ?

Le "Fils de l'homme" désigne évidemment le Christ. Il est vainqueur. Il est ressuscité, dans la gloire.
C'est l'amour qui est vainqueur. Le paroxysme de l'amour, c'est d'aimer jusqu'à la croix.
Le trône de gloire de l'Amour pourrait bien être la croix.

Le rapprochement n'est pas illégitime : la passion commence au chapitre 26, juste après le "jugement dernier". Matthieu n'a sans doute pas choisi de petites paraboles gentiment morales pour nous y préparer.
Sachant combien nous auront du mal à comprendre, il amène tous les anges à la rescousse. Les anges sont les messagers.
Le Fils de l'homme arrive avec tous ses haut-parleurs. Ils redisent les paroles, toutes les paroles : Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre (Gn 1,1)... La grâce du Seigneur soit avec tous (Ap 22,21).
C'est maintenant qu'elles se réalisent.

La symphonie pourrait évoquer la mort et la résurrection.

Mais alors, qui est le serviteur inutile ? Celui qui est jeté dehors, hors de Jérusalem, quand la ténèbre envahit toute la terre (Mt 27,45) ?
Celui devant qui Pierre pleure amèrement après son reniement (Mt 26,75) ?
Celui qui n'a pas placé son argent chez les banquiers (Mt 25,27) ?
Vous, que dites-vous : Qui est-il ? (voir Mt 16,15)

Il en est un, plus malin que les autres, qui a compris le premier. Il a compris qu'il était vaincu. Il grince des dents.

Miniature des frères Limbourg
Jean et Marie... debout près de la croix (Jn 19,25-27)
Le ciel est mon trône
et la terre l'escabeau de mes pieds (Is 66,1)

Une vision symbolique du texte.

Le psaume 108/109 montre le messie souffrant, tel Joseph jeté dans la citerne par ses frères (Gn 37). Le psaume 109/110 cité peu avant (Mt 22,44) montre le messie revenant s'asseoir à la droite de Dieu, tel Joseph régnant en Égypte. Ils annoncent la venue du fils d'un autre Joseph.

Verset 31

Le texte grec est grammaticalement incohérent. Il mélange l'aoriste grec traduit ici par un présent (vient) et le futur (s'assoira).
La plupart des traductions corrigent et mettent deux futurs. Car bien sûr, dans nos têtes, le texte parle du "jugement dernier". Un évènement que les premiers chrétiens croyaient proches, mais qui n'en finit pas de ne pas venir. Nous en sommes venus à le penser très lointain.
Nos bibles ont inventé ce titre, "jugement dernier", alors qu'aucun de ces deux mots ne figure dans la parabole.
Le texte ainsi mal traduit nous concerne peu : des idées sur ce qui risque de nous arriver un jour...

Le mélange aoriste / futur du texte grec pourrait exprimer l'inaccompli de la langue hébraïque (qui ne connait pas nos temps). Le Fils de l'homme est en train de venir, c'est en route, ce n'est pas achevé.

Le texte nous parle de ce qui est en train d'advenir, ici et maintenant.

Il m'a fallu du temps, beaucoup de temps, pour intégrer intérieurement, existentiellement, cette remarque grammaticale.
Le chemin me semble comparable à l'intégration d'un koan zen.
Intégrer, ce n'est pas comprendre mentalement. C'est que la justesse de cette parole devienne une évidence, un réflexe.

L'assise en zazen fait entrer dans l'éternité de l'instant.
C'est un travail de séparation.
Les pensées relatives au passé ou au futur sont collantes. Dans le silence de l'assise, leur caractère envahissant se manifeste davantage. Je ne me savais pas aussi esclave, prisonnier de ces pensées qui tournent comme des folles dans ma tête.
Au fil des inspirs et des expirs, elles se décollent (un peu) du mental, j'en suis (un peu) libéré.
L'image de la séparation des brebis et des boucs rejoint cette expérience.

Suite