Comme en français, le pronom masculin pluriel "eux" n'est précédé en grec d'aucun substantif masculin pluriel. Le texte, grammaticalement incorrect, provoque donc la question : qui sont ces "eux" ?
La plupart des traductions comblent le vide en disant : Il séparera les hommes les uns des autres. C'est logique.
Mais du coup, le texte devient dualiste. Parmi les hommes, il y a des brebis et des boucs, des bons et des méchants.
Si l'on accepte cette traduction qui ne respecte pas le texte, la question devient : qui (dans un groupe, lesquels parmi nous ?) ira à droite, et qui ira à gauche.
Cette question dérange, il faut insister pour qu'elle ne soit pas esquivée.
La réponse la plus courante est que "je suis un peu brebis et un peu bouc".
Comme Dieu est bon, il n'enverra dans le feu éternel que les "boucs" qui refusent tout à fait son amour. Chacun est libre de s'enferrer dans le refus.
Le processus n'est plus de chercher à comprendre le texte, mais de le tordre pour le faire entrer de force dans les idées que l'on a : Dieu est bon - Chacun est libre. C'est inintéressant et malhonnête.
Il faut donc revenir à la question que le texte pose : qui sont ces "eux" ? Et trouver une réponse dans le texte.
Les "eux" ne sont qualifiés que par ce qui suit : les brebis et les boucs. Cherchons donc à comprendre cette image.
Nouvelle difficulté : selon les traductions, les brebis deviennent moutons, ou les boucs deviennent chèvres... et l'image perd son sens !
Qu'est-ce qu'une brebis ? La femelle dans la famille "moutons". Le mâle de cette famille est le bélier.
Le bouc est le mâle dans la famille "chèvres". Jamais il ne pourra féconder une brebis.
Si un bouc prend la place du bélier, c'est une mésalliance stérile.
Le bouc, tel un berger mercenaire inféodé à l'argent (Jn 10,12), a pris la place de l'époux légitime (le Christ bélier) auprès de la brebis.
L'époux vient et la délivre. Les petits boucs qui nous fagocitent sont jetés dans le feu éternel, nous en sommes libérés, ce pourrait être une bonne nouvelle de ce texte !
Autre dissymétrie un peu plus loin :
40 Et le Roi leur répondra : 'Amen, je vous le dis : chaque fois que vous l'avez fait à l'un de ces petits qui sont mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait.'
45 Il leur répondra : 'Amen, je vous le dis : chaque fois que vous ne l'avez pas fait à l'un de ces petits, à moi non plus vous ne l'avez pas fait.'
Les petits boucs entre eux ne vivent pas l'amour. Ils ont beau être petits, ce sont les anges de Satan et non pas les frères du Christ.
Le tympan du Narthex de Vezelay, un peu antérieur, n'est même pas un jugement. Voir le commentaire de Robert Pirault, "La danse du nouvel Adam".
Osons aller plus loin, et demandons-nous s’il est possible de donner sens aux figurations ultérieures, telles que celle de Bourges (voir l’image dans l’introduction).Les « bénis de mon Père », forts du soleil intérieur qui les habitent, n’iraient-ils pas joyeusement prêcher la bonne nouvelle dans les ténèbres du monde ?
Et les « maudits », torturés par leurs démons, leurs passions, n’iraient-ils pas, au travers du feu purifiant de l’amour, vers le Soleil de la résurrection ?
Entrer dans la cathédrale, quitter l’Ouest pour aller vers l’Est, vers le soleil levant, se fait en passant sous cette image. C’est une démarche lourde de sens : je vais passer par la mort (de mes passions) pour recevoir la vie, et pour âtre témoin de cette vie.